Vatican et Féminisme : Prise de position de la Communauté du Christ libérateur
Le journal Le Monde du samedi 7 août publie en première page un article intitulé « Le réquisitoire du Vatican contre le féminisme », et développe l’info en page 2 dans un article intitulé : « Le Vatican hausse le ton contre le féminisme et l’homosexualité ». Il y a aussi la prise de position de la sociologue Danièle Hervieu-Léger, pour qui la crise du catholicisme vient de son immobilisme face aux changements culturels. L’éditorial de la page 14 enfin conclut que ce nouveau texte qui émane du Cardinal Ratzinger (mais a été approuvé par Jean-Paul II) est tout simplement inadmissible : « Que le Vatican tente toujours, en 2004, de trouver une justification morale et théologique à l’inégalité des sexes est simplement inadmissible ».
En Belgique, Le Soir a relayé l’information le lundi 9 en la complétant par la réaction des évêques de Belgique, que le journal qualifie de très « prudente et diplomatique ».
Nous sommes allés rechercher le texte sur le site officiel du Vatican et nous l’avons lu attentivement. Signalons d’abord qu’il s’agit d’un texte adressé aux évêques catholiques et qu’il a été approuvé par Jean-Paul II le 31 mai 2004. On ne sait pas pourquoi le texte n’est diffusé que ces jours-ci. Est-ce un effet de la bureaucratie vaticane ou d’une stratégie par rapport à la proximité du voyage du pape à Lourdes ? Ce pourrait être une manière de peser dans les débats français sur la famille et la question du mariage homosexuel notamment.
N’empêche, la lecture du texte est accablante. Il donne une caricature du mouvement féministe et de ses thèses, qu’il réduit soit à une guerre des sexes entre les femmes et les hommes, soit à une tentative de gommer toute différence entre les sexes, ce qui revient à remettre en question la famille et in fine conduit à « la mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité. Féministes et LGBT ( = Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) sont une fois de plus ceux qui menacent la dignité de la femme, l’ordre des familles, les bases de la société, introduisent de la confusion dans le plan du salut, la parole de Dieu, l’anthropologie biblique… Nous renonçons à résumer les arguments tirés de « l’anthropologie biblique » et qui se réfèrent une fois encore aux deux récits de la création du monde, à l’histoire de Noé, à la vocation d’Abraham, etc.
Il y a aussi évidemment toute la métaphore conjugale de l’Époux (le Christ) et de son Épouse (l’Église). Que répondre à tout cela ? Il faudrait des compétences « sur leur propre terrain » qu’il est possible de trouver, mais que nous ne tenterons pas ici. Des théologiens « progressistes » ont du reste déjà exprimé pas mal d’arguments. On peut penser que le débat est en fait plus politique que doctrinal. (accès des femmes aux ministères consacrés, emprise de l’Église sur la législation civile…)
Ce qui laisse sans doute le plus rêveur devant cette publication, c’est la démarche elle-même. Les premiers mots du texte disent : « experte en humanité, l’Église s’est toujours intéressée à ce qui concerne l’homme et la femme… ». S’autoproclamer « experte en humanité » devrait impliquer d’avoir intégré les acquis des sciences humaines (psychologie, sociologie…) et surtout d’avoir réellement écouté et compris les personnes concernées, de leur donner la parole et de ne pas parler d’elles à leur place ni de dire à leur place ce qu’elles sont, devraient être ou ont à faire… Au lieu de cette écoute des femmes, le Vatican fait un reflet caricatural des positions du mouvement féministe. Ensuite, au lieu de se laisser déranger par la réalité concrète, il va regarder ce que dit la Bible des femmes dans ses mythes fondateurs et en déduit des conclusions à laquelle les femmes ont à se conformer si elles veulent être des femmes authentiquement femmes. A ce compte-là, la terre est encore plate ! Sur le plan de la crédib
lité, si on inverse le cas de figure, que penserait-on d un congrès de religieuses âgées, aussi versées soient-elles dans les textes sacrés, qui définiraient ce qu’est la masculinité et qui conseilleraient aux hommes de s’y conformer ?
Saint Pierre a bien reçu les clés du Royaume, mais il semble bien que dans la succession on a perdu celle de l’« autre moitié du ciel » …
Heureusement l’introduction du texte du cardinal Ratzinger affirme que « ces réflexions entendent être un point de départ d’une démarche d’approfondissement au sein même de l’Église et instaurer un dialogue avec les hommes et les femmes de bonne volonté… » Il y a du travail à faire pour aller dans le sens de ce qu’ont déjà accompli d’autres églises chrétiennes par rapport à une plus grande prise en compte des femmes dans l’Eglise. Nous ne doutons pas que dès à présent, suite à ce texte romain, des réactions s’organisent dans le monde des catholiques surtout « occidentaux » notamment féministes et LGBT.
Pour nous, à la Communauté du Christ Libérateur, groupe de lesbiennes et de gays chrétiens, nous tenons à exprimer évidemment une certaine consternation face à ce texte qui est une nouvelle agression à ce que nous sommes en tant que chrétiens et LGBT.
Le dialogue entre les LGBT chrétiens et les autorités catholiques n’est pas facile, mais il existe en Belgique en tout cas. Notre Lettre est lue par les évêques et il est arrivé à deux reprises récemment que nous ayons reçu la visite cordiale et attentive de l’un d’entre eux. Les ponts ne sont pas rompus heureusement.
16 août 2004