À Mgr Herman Cosijns, Secrétaire général de la Conférence épiscopale,
Au Père Tommy Scholtes, Porte-parole de la Conférence épiscopale,

Bruxelles, 18 mars 2021

Lettre aux évêques de Belgique de la Communauté du Christ Libérateur, groupe chrétien de gays et lesbiennes.

Messeigneurs,

Plusieurs d’entre vous ont, à diverses reprises, personnellement témoigné leur soutien paternel à notre Communauté du Christ Libérateur. Vous nous avez rendu visite notamment à Bruxelles et à Liège à l’occasion de réunions de notre association, vous avez célébré pour nous la messe et nous avez bénis. Ces moments ont été pour nous très précieux et porteurs d’espoir pour la construction d’une Eglise qui serait demain plus fraternelle et inclusive.

C’est pourquoi nous nous permettons de vous faire part des sentiments qui nous ont submergés à l’annonce de la prise de position de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 15 mars dernier.

Chez beaucoup d’entre nous cette nouvelle a produit consternation, incrédulité, colère, tristesse, découragement, agressivité… Quoi ! Nous demandions de pouvoir célébrer ouvertement en Église nos engagements de vie commune de couple. Éventuellement par une prière dans l’église ou une petite bénédiction (même seulement dans la sacristie) et ce qu’on reçoit de Rome, ce sont des malédictions généreusement distribuées sur l’ensemble de notre communauté LGBT !

« On ne peut pas vous bénir » tranche le document, « on n’en n’a pas la permission de Dieu, car vous n’êtes pas ordonnés dans son plan ». Entendez : Dieu n’a pas créé d’homosexuels. Dieu n’a créé que des hétérosexuels. Vous êtes des hétérosexuels qui avez CHOISI d’avoir des relations sexuelles avec des personnes du même sexe que vous. C’est mal, vous êtes noirs de péchés, l’Église ne peut pas bénir votre ignominie. Cela sous-entend l’injonction : Allez suivre une thérapie de conversion, elle vous rendra votre vraie nature qui est hétérosexuelle !

On peut toujours se dire que ces gens de Rome n’ont que le pouvoir qu’on veut bien leur donner. Cependant quand l’autorité religieuse romaine s’exprime sur ces sujets, les médias en amplifie l’écho et cela marque les esprits malintentionnés.

A l’époque que nous vivons, cette prise de position est un encouragement à l’homophobie, une stimulation à rejeter les personnes homosexuelles des familles chrétiennes et des paroisses, à continuer les persécutions dont elles sont victimes en Afrique et ailleurs. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi devient un agent de notre discrimination.  Les conséquences font frémir. Ces gens de Rome n’ont-ils aucun sens des responsabilités, des conséquences sociétales de leurs affirmations ? Ils reproduisent le scénario de l’interdiction du préservatif lorsque le SIDA tuait en masse ?

De notre côté, nous avons une charte qui dit en son article 2 :  La Communauté rappelle que l’homosexualité n’est ni un choix libre, ni une maladie, mais une réalité humaine présente dans toute société. La sexualité est une dimension essentielle de l’être humain qui doit pouvoir se vivre dans le plaisir, le bonheur et le respect. Pour autant que les partenaires soient adultes et consentants, la Communauté ne porte aucun jugement sur les modes de vie ou sur les pratiques sexuelles de ses membres, y compris de ceux et celles qui ont décidé de vivre dans la chasteté ou la continence.

Nous pensons que vivre de cette manière n’interdit pas, au contraire de vivre en enfants de Dieu.
Ne faudrait-il pas rappeler que l’Église a souvent béni sans état d’âme les chiens, les motos, les médailles et parfois les armées alors qu’elle refuse aujourd’hui de bénir l’amour entre deux personnes ? Ne faudrait-il pas rappeler aussi tous ces gays et lesbiennes en couple ou mariés qui portent l’Église au quotidien dans nos paroisses en tant que marguilliers, organistes, sacristains, choristes, membres d’équipes pastorales, économes, catéchistes, délégué épiscopal, journalistes, etc ? Exploiterait-on leurs compétences en méprisant leur amour et leur vie ?

Messeigneurs et chers Pères évêques, Nous avons apprécié votre réaction au lendemain de la diffusion du texte romain. Le communiqué de presse que vous avez diffusé exprime votre sympathie pour nous et nous vous en sommes reconnaissants. Nous saluons aussi vos courageuses déclarations devant les médias. Vous nous permettez ainsi de garder espoir et confiance dans notre Église de Belgique. Mais permettez-nous d’exprimer de plus grandes attentes, car nous aurions besoin de plus que de la sympathie :

  • d’une part nous aimerions pourvoir quitter notre position de « passager clandestin » dans l’Église. Nous sentir vraiment accueillis pour ce que nous sommes dans les communautés paroissiales. Cela demande que nos communautés chrétiennes apprennent à vraiment nous connaître ce qui implique aussi que nous puissions y être visibles sans crainte. Cela nécessite une pastorale de l’inclusivité.
  • d’autre part nous aurions besoin d’une vraie réforme des textes doctrinaux qui nous caricaturent. Nous pensons que vous êtes en position adéquate pour influencer les positions de la Curie et obtenir d’elle des documents qui ne soient pas aussi outranciers. Car ils défigurent l’Église que nous aimons. De plus, on l’a déjà rappelé, ces textes sont souvent revendiqués par les autorités politiques qui persécutent, emprisonnent ou discriminent nos congénères dans certains pays.

Souffrant de mésestime et parfois de rejet, nous aurions besoin que notre Église nous reconnaisse et dise du bien de nous, qu’elle nous voie non pas comme de douloureux problèmes à gérer discrètement mais comme des partenaires sur qui on peut compter.

En attendant, de notre côté, chrétiens et chrétiennes homosexuels, même si certains jugent nos amours humaines illicites, nous resterons accrochés à la parole de saint Paul qui nous assure que rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ. Nous construisons avec vous l’Église de demain, celle qui se base sur un Évangile qui est une bonne nouvelle pour les opprimés.

Les hypocrites disparaitront, laissons les morts enterrer les morts et continuons notre chemin sur les pas de Jésus notre libérateur.

Nous nous permettons de joindre à ce courrier la lettre que vous adresse notre ami jésuite, le Père José Davin.

Recevez chers Pères Evêques l’assurance de notre confiance filiale.

Michel Elias
Administrateur, Porte-parole de la CCL